Les « jours fériés oubliés » sont des fêtes jadis officielles, tombées en désuétude ou rebaptisées au gré des régimes, des réformes de calendrier et des priorités sociales. Ils disparaissent rarement d’un coup; plus souvent, ils se transforment, glissent dans l’ombre ou reviennent en version patrimoniale. Comprendre leur ascension et leur chute, c’est lire en filigrane l’histoire politique et culturelle d’un pays.

De l’Empire Day britannique aux anniversaires soviétiques, du 17 juin allemand à des fêtes civiques locales, ces observances racontent la façon dont les sociétés sélectionnent ce qu’elles commémorent. Et elles continuent de vivre, discrètement, dans les chronologies « Ce jour-là » et les commémorations de quartier.

Pourquoi les jours fériés disparaissent-ils ?

Plusieurs dynamiques convergent pour effacer ou déplacer des fêtes officiellement inscrites au calendrier :

  • Virages politiques et changement de régime : une nouvelle légitimité s’accompagne souvent d’un nouveau panthéon de dates. Les États post-révolutionnaires ou post-coloniaux remanient leurs fêtes pour signifier la rupture.
  • Réformes de calendrier : passer du calendrier julien au grégorien (ou inversement) déplace des anniversaires. En 1752, l’Empire britannique supprime 11 jours; en 1918, la Russie efface 13 jours. Des fêtes se décollent de leur saison et perdent leur ancrage populaire.
  • Rebranding et regroupements : au lieu de supprimer, on renomme et on déplace. La date survit sous une autre bannière, mais l’ancienne appellation s’efface de la mémoire collective.
  • Rationalisation administrative : des gouvernements ou entreprises réforment le calendrier des jours chômés pour des raisons économiques, rétrogradant certaines fêtes au rang de commémorations non chômées.
  • Sécularisation et nouvelles sensibilités : des fêtes à forte tonalité religieuse ou idéologique se rétrécissent à des milieux spécifiques, tandis que des thèmes transversaux (paix, droits civiques, environnement) gagnent en visibilité.
  • Géopolitique et recompositions territoriales : annexions, indépendances, fédéralisations et réunifications imposent de nouvelles dates fondatrices.

Études de cas : ascension, chute et réinventions

Empire Day devient Commonwealth Day

Empire Day naît au tournant du XXe siècle comme célébration de la cohésion de l’Empire britannique, initialement associée à l’anniversaire de la reine Victoria (24 mai). À mesure que l’Empire se transforme en Commonwealth, cette fête devient politiquement délicate. Le Royaume-Uni, le Canada et d’autres pays glissent progressivement vers un Commonwealth Day dépolitisé, déplacé au deuxième lundi de mars, tandis qu’en Canada anglophone la date de mai survit comme Victoria Day. Le nom « Empire Day » disparaît de l’affichage officiel, mais demeure présent dans les On This Day et les archives scolaires de l’époque.

Les anniversaires soviétiques : 7 novembre et consorts

En URSS, le 7 novembre (Révolution d’Octobre, selon l’ancien calendrier) fut longtemps la fête civique centrale. Après 1991, la Russie supprime la plupart des grandes dates soviétiques. En 2005, elle remplace le 7 novembre par le Jour de l’Unité nationale (4 novembre). Résultat : la symbolique change, mais des cortèges nostalgiques commémorent encore le 7 novembre, et les médias continuent de citer la date dans les rubriques « Ce jour-là ». D’autres observances soviétiques – Jour de la Constitution, Jour de la Police (rebaptisé), Jour des Pionniers – ont été abolies, fusionnées ou privées de statut chômé.

Allemagne : du 17 juin au 3 octobre

En Allemagne de l’Ouest, le 17 juin (soulèvement est-allemand de 1953) devient Tag der Deutschen Einheit, fête nationale de la liberté et de l’unité espérée. Après la réunification, la nouvelle Allemagne fixe la fête nationale au 3 octobre (1990). Le 17 juin perd son statut de jour férié mais conserve une mémoire officielle (monuments, cérémonies) et demeure bien visible dans les chronologies historiques et les programmes scolaires.

Fêtes civiques régionales : le cas du Québec et des villes nord-américaines

Les calendriers locaux ont connu de nombreuses reconfigurations. Au Québec, le lundi précédant le 25 mai a changé de sens : jadis « Fête de Dollard », il devient en 2003 la Journée nationale des patriotes, recentrant l’hommage vers l’histoire des rébellions de 1837‑1838. L’ancienne dénomination disparaît du calendrier officiel, mais subsiste dans les mémoires, les coupures de presse et les bases de données d’archives.

Ailleurs, des fêtes comme Evacuation Day (New York, 25 novembre, marquant le départ des troupes britanniques en 1783) ont perdu leur statut au fil du temps. À Boston, Evacuation Day (17 mars) et Bunker Hill Day (17 juin) ont connu des controverses budgétaires et une réduction de portée officielle, tout en survivant comme marqueurs identitaires pour des villes et comtés. Le caractère chômé s’efface, la commémoration locale demeure.

Réformes de calendrier : « Vieux Noël » et « vieux Nouvel An »

Quand les pays passent du julien au grégorien, des dates glissent et certaines communautés continuent d’observer les fêtes « à l’ancienne ». En 1752, l’Empire britannique supprime 11 jours; en 1918, la Russie en supprime 13. Résultat : en Russie, en Serbie et ailleurs, on fête encore le « vieux Nouvel An » le 14 janvier (grégorien), vestige d’un Nouvel An officiellement « perdu ». Dans des régions anglo-saxonnes, on parlait de « Old Christmas » autour du 6‑7 janvier, survivance locale après la réforme de 1752. Ces dates, jadis centrales, deviennent des traditions patrimoniales de niche.

Le calendrier révolutionnaire français : fêtes d’un régime éphémère

La France révolutionnaire institue en 1793 un calendrier laïque, avec de nouvelles fêtes (décadis, Fête de l’Être suprême, Fête de la Raison) et des noms de mois inédits. Abandonné en 1806, ce système laisse derrière lui des observances disparues qui réapparaissent parfois lors de reconstitutions historiques, d’expositions de musées ou de projets pédagogiques. Elles vivent aujourd’hui comme objets patrimoniaux, non comme jours chômés.

Des disparitions aux renaissances patrimoniales

La disparition n’est pas toujours une fin. Plusieurs anciennes fêtes connaissent des retours sous forme de journées du patrimoine, de festivals ou de rituels communautaires :

  • Relectures locales : des municipalités relancent des défilés ou des marchés historiques à la date d’une ancienne fête (même sans chômage), pour dynamiser le tourisme culturel.
  • Musées et archives : expositions une date, une histoire, collectes d’objets et de témoignages, ateliers scolaires et parcours urbains réactivent la mémoire.
  • Diasporas et associations : hors du pays d’origine, des communautés continuent de célébrer des fêtes supprimées sur place, en les assortissant de récits familiaux.
  • Rebranding patrimonial : des autorités rebaptisent une fête conflictuelle en « journée de mémoire » ou d’« histoire locale », recentrant l’accent sur la transmission plutôt que sur la revendication.

Ce phénomène s’observe en Europe (journées dédiées à des batailles, à des guildes ou à des figures civiques) comme en Amérique du Nord, où les « heritage days » mettent en scène cuisines, musiques et savoir-faire plutôt que des slogans politiques.

La persistance numérique : « Ce jour-là », bases et algorithmes

Si les anciennes fêtes disparaissent des jours chômés, elles réapparaissent sur nos écrans. Les sections « Ce jour-là » des encyclopédies en ligne, des médias et des comptes sociaux rappellent qu’« aujourd’hui » a abrité, autrefois, un défilé, une loi ou une proclamation. Trois forces y contribuent :

  • La standardisation des données historiques : les bases encyclopédiques consignent les « naissances », « décès » et « événements » de chaque date, et incluent souvent les fêtes abolies.
  • Les algorithmes d’actualité : chaque année, des plateformes recomposent des fils « on this day » qui invitent au souvenir, même si la fête n’est plus officielle.
  • La mémoire fragmentée : des groupes militants, des sociétés d’histoire et des comptes locaux tiennent la flamme, organisant micro-événements, hashtags et publications annuelles.

Ce recyclage numérique donne une seconde vie à des observances disparues : elles deviennent des points d’ancrage pour raconter des histoires, sans nécessairement redevinir des congés payés.

Comparaisons rapides : disparition, rebranding, continuité

  • Disparition nette : fête abolie, plus de statut officiel ni de commémoration d’État (ex. « Tag der Republik » de la RDA, 7 octobre, après 1990).
  • Rebranding : même date ou proche, nouveau sens et nom (ex. 4 novembre en Russie remplaçant le 7 novembre; 16 décembre en Afrique du Sud rebaptisé Jour de la Réconciliation).
  • Continuité décalée : la fête subsiste sans chômage, avec un accent culturel ou communautaire (ex. Evacuation Day à Boston).

Que nous apprennent les fêtes disparues ?

Ces dates révèlent ce qu’une société choisit d’honorer. Leur effacement dit autant que leur création : fin d’un empire, rejet d’une idéologie, unification d’un pays, renégociation de l’identité nationale ou régionale. Elles montrent aussi que la mémoire n’est pas binaire : une fête peut mourir comme jour chômé et renaître comme récit, rituel ou événement culturel.

Comment documenter un jour férié oublié

  • Archives officielles : bulletins gouvernementaux, lois sur les fêtes nationales, décrets de calendrier.
  • Presse et almanachs : suppléments « almanach » des journaux, agendas d’époque, programmes de défilés.
  • Iconographie : affiches, cartes postales, photographies de parades et d’écoles.
  • Témoignages : collectes orales auprès d’anciens participants, associations d’anciens élèves, syndicats.
  • Données numériques : chronologies « Ce jour-là », Wikidata, bases d’événements historiques, hashtags saisonniers.

Conseils pour les collectivités qui souhaitent raviver une date

  • Recentrer le message : passer du triomphalisme à la pédagogie (histoire locale, métiers, arts, gastronomie).
  • Co-construire : associer musées, écoles, bibliothèques, associations patrimoniales, minorités concernées.
  • Échelonner : commencer par une commémoration symbolique (conférence, exposition) avant d’envisager un jour chômé.
  • Outiller : créer une page documentaire, un kit pédagogique, des itinéraires urbains géolocalisés.
  • Évaluer : sonder la population, mesurer la fréquentation, ajuster la programmation.

Questions fréquentes

Qu’est-ce qu’un « jour férié oublié » ?

C’est une fête qui a existé officiellement (souvent chômée) et qui a été supprimée, déplacée ou rebaptisée. Elle peut survivre dans la mémoire collective, les archives et des commémorations locales, même sans statut légal.

Pourquoi certaines fêtes disparaissent-elles ?

La cause la plus fréquente est le changement de régime ou de priorités politiques. S’y ajoutent les réformes de calendrier, la rationalisation des jours chômés, la sécularisation et le rebranding visant à apaiser des tensions symboliques.

Quels sont des exemples emblématiques ?

Empire Day rebaptisé en Commonwealth Day; le 7 novembre soviétique remplacé par le 4 novembre en Russie; le 17 juin allemand supplanté par le 3 octobre; des fêtes civiques comme Evacuation Day ou l’ancienne Fête de Dollard au Québec, remaniées ou rétrogradées.

Ces fêtes reviennent-elles parfois ?

Oui, davantage sous forme de journées patrimoniales, de festivals ou de commémorations culturelles que comme jours chômés. Des municipalités, musées et associations relancent la date avec un angle historique.

Quel rôle jouent les rubriques « Ce jour-là » ?

Un rôle de conservation. Elles rappellent chaque année que telle date a porté telle signification, redonnant de la visibilité à des observances disparues et alimentant la curiosité du public.

Comment savoir si une fête a changé de nom plutôt que disparu ?

Consultez les textes de loi et les communiqués gouvernementaux lors des changements. Une fête peut garder la même date mais changer d’appellation et de sens, ou se déplacer de quelques jours.

Peut-on mesurer l’intérêt public pour une fête oubliée ?

Oui : via les données de fréquentation d’événements, les recherches en ligne autour de la date (outils de tendance), les consultations publiques et l’écho médiatique. Ces indicateurs guident une éventuelle relance patrimoniale.