L'ordre général 70, point culminant des réformes Cardwell et Childers de l'armée britannique, entre en vigueur.
Entre 1868 et 1874, l'armée britannique fut le théâtre de transformations profondes, connues sous le nom de réformes Cardwell. Initiées par Edward Cardwell, le Secrétaire d'État à la Guerre, et fermement soutenues par le Premier ministre libéral de l'époque, William Ewart Gladstone, ces changements visaient à moderniser une institution qui, bien qu'ayant une longue histoire de succès impériaux, montrait des signes de désuétude face aux réalités militaires émergentes du XIXe siècle. Gladstone, dont l'attention était principalement portée sur les affaires intérieures et économiques, fut néanmoins un fervent partisan de l'efficacité, un principe qu'il jugeait essentiel pour la puissance et la pérennité de l'Empire.
Le Contexte des Réformes : L'Urgence de Moderniser l'Armée
À l'aube des années 1870, l'armée britannique, souvent perçue comme la garante de l'Empire, fonctionnait sur des principes et des structures hérités du siècle précédent. Le corps des officiers, en particulier, était largement dominé par une aristocratie et une gentry aisées, dont la position était souvent assurée par l'achat de commissions – un système où les grades étaient littéralement monnayables. Cette pratique, bien qu'ancrée dans la tradition, entraînait une inefficacité flagrante : le mérite passait après la fortune, et de nombreux officiers manquaient de formation professionnelle adéquate. Les soldats enrôlés, quant à eux, servaient de longues périodes, souvent à l'étranger dans des conditions difficiles, sans système de réserve organisé pour soutenir l'armée en cas de conflit majeur sur le sol national ou impérial.
C'est dans ce climat qu'un événement extérieur vint précipiter le besoin de changement : la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Le triomphe rapide et écrasant de la Prusse sur la France, une puissance militaire traditionnellement redoutable, fut un choc pour l'Europe et pour la Grande-Bretagne. Il démontra de manière éclatante la supériorité d'une armée moderne, organisée autour de soldats professionnels bien entraînés, dotés d'un commandement basé sur le mérite et équipés d'armements à la pointe de la technologie. Cette démonstration de force prussienne, avec son système de conscription courte durée et de réserves efficaces, mit en lumière les lacunes profondes de l'armée britannique et la nécessité impérieuse de réformes. Bien que les idées de réforme circulaient déjà depuis des années, Gladstone saisit le moment, et en 1870, il fit adopter par le Parlement des changements majeurs dans l'organisation de l'armée.
Les Piliers des Réformes Cardwell
1. Centralisation et Efficacité du War Office
L'un des objectifs fondamentaux de Cardwell était de rationaliser et de centraliser le contrôle de l'armée. Auparavant, le pouvoir était dispersé entre diverses entités et départements, créant des chevauchements, des inefficacités et un manque de cohérence dans la gestion des forces armées. Les réformes visèrent à renforcer l'autorité du Secrétaire d'État à la Guerre et du War Office sur tous les aspects de l'administration militaire, de l'équipement au personnel, en passant par la logistique. Cette mesure était essentielle pour moderniser la gestion de l'armée et assurer une meilleure coordination des ressources, permettant une prise de décision plus rapide et plus cohésive.
2. L'Abolition de l'Achat des Commissions d'Officiers
C'était sans doute la réforme la plus controversée et la plus emblématique. Le système d'achat des commissions permettait aux officiers d'acheter leurs grades, et de les vendre ensuite. Une commission de sous-lieutenant, par exemple, pouvait être achetée, puis, lors d'une promotion, l'officier vendait sa commission junior pour financer l'acquisition de sa commission supérieure, plus coûteuse. Les familles aisées avaient investi des sommes considérables, souvent des millions de livres sterling cumulés, dans ces commissions, y voyant non seulement un cheminement de carrière pour leurs fils, mais aussi un investissement social et financier sécurisé. Ce système excluait de facto les hommes talentueux mais sans fortune, créant une caste d'officiers dont la compétence n'était pas toujours la principale qualification. Cardwell et Gladstone étaient convaincus que le mérite devait primer sur la richesse pour la nomination et la promotion des officiers, afin d'assurer une armée dirigée par les plus capables.
L'abolition ne fut pas sans heurts. Le gouvernement proposa une loi à la Chambre des Communes prévoyant de rembourser aux officiers le prix intégral de leurs commissions. Cependant, cette mesure fut initialement rejetée par la Chambre des Lords, bastion des intérêts aristocratiques et militaires traditionnels qui voyaient d'un mauvais œil cette atteinte à leurs privilèges et investissements. Face à l'obstruction parlementaire, Gladstone, avec une audace politique remarquable, usa d'une prérogative royale rarement employée : il obtint de la Reine Victoria la signature d'un Décret Royal (Royal Warrant) le 20 juillet 1871, abolissant purement et simplement le système d'achat. Ce coup de force contourna le Parlement, rendant caducs toutes les commissions achetées et, par conséquent, détruisant instantanément leur valeur financière. Les Lords, mis devant le fait accompli et sous la pression de l'opinion publique et du gouvernement, n'eurent d'autre choix que d'adopter ultérieurement une loi "réparatrice" pour assurer le remboursement des officiers concernés, reconnaissant ainsi le fait accompli tout en atténuant les pertes financières des familles.
3. Le Système de Service Court et la Création de Forces de Réserve
Avant Cardwell, les soldats enrôlés servaient pendant des périodes très longues, parfois 21 ans, souvent dans des régiments dispersés à travers l'Empire. Ce système était coûteux et ne permettait pas de disposer rapidement de renforts bien entraînés en Grande-Bretagne. Cardwell introduisit le "Short Service System" (système de service court), limitant la durée de service actif à six ans "sous les drapeaux" (avec l'armée régulière), suivis de six années passées dans la réserve. Ce modèle permettait non seulement de former un réservoir de soldats aguerris pour la défense du territoire national et pour les besoins impériaux, mais aussi de rajeunir l'armée active avec des recrues plus jeunes et plus dynamiques, prêtes à être mobilisées rapidement en cas de besoin.
Parallèlement, un système de « localisation » fut mis en place. Chaque régiment d'infanterie fut rattaché à un district de recrutement spécifique en Grande-Bretagne, avec un dépôt permanent. Ce lien géographique renforçait l'identité régimentaire et facilitait le recrutement et la mobilisation des réserves. Il s'agissait d'une rupture majeure avec l'ancien système, où les régiments étaient souvent déracinés et dépendaient d'un recrutement plus généralisé. L'objectif était de disposer, en permanence, d'une force de réserve prête à être mobilisée en cas de besoin, une leçon tirée directement du modèle prussien qui avait si brillamment fait ses preuves en Europe continentale.
Impact et Héritage des Réformes Cardwell
Les réformes Cardwell furent une étape décisive dans la modernisation de l'armée britannique. Elles jetèrent les bases d'une armée plus professionnelle, plus efficace et plus réactive, capable de répondre aux défis du vaste Empire britannique et aux menaces potentielles en Europe. En abolissant l'achat des commissions, elles ouvrirent la voie à une méritocratie au sein du corps des officiers, même si les réseaux sociaux et la richesse continuèrent d'exercer une certaine influence. Le système de service court et la création des réserves permirent de disposer d'une force beaucoup plus flexible et nombreuse, ce qui se révéla crucial pour les opérations impériales ultérieures et pour la sécurité du territoire national. Bien que non "radicales" dans le sens où nombre de ces idées flottaient déjà dans l'air, la détermination de Cardwell et de Gladstone à les mettre en œuvre, en dépit de l'opposition féroce, en fit un programme de transformation d'une ampleur sans précédent pour l'institution militaire britannique. Elles marquent le passage d'une armée plus ou moins archaïque à une force moderne, capable de s'adapter aux exigences de la guerre industrielle et impériale du tournant du siècle.
Questions Fréquemment Posées (FAQ)
- Qui était Edward Cardwell et quel était son rôle ?
- Edward Cardwell était le Secrétaire d'État à la Guerre du Royaume-Uni entre 1868 et 1874 sous le gouvernement libéral de William Ewart Gladstone. Il fut l'architecte principal et le moteur des vastes réformes qui portèrent son nom, visant à moderniser l'armée britannique.
- Quand les réformes Cardwell ont-elles eu lieu ?
- Les réformes Cardwell ont été mises en œuvre entre 1868 et 1874, la période où Edward Cardwell occupait le poste de Secrétaire d'État à la Guerre et bénéficiait du soutien du Premier ministre Gladstone.
- Quel événement majeur a catalysé ces réformes ?
- La guerre franco-prussienne de 1870-1871, avec la victoire écrasante de la Prusse sur la France, a démontré la supériorité d'une armée moderne et bien organisée, mettant en lumière les lacunes du système militaire britannique et rendant la réforme impérative.
- Qu'est-ce que l'achat des commissions et pourquoi a-t-il été aboli ?
- L'achat des commissions était un système où les officiers achetaient leurs grades. Il a été aboli car il favorisait la richesse plutôt que le mérite et la compétence, empêchant les officiers talentueux mais sans fortune d'accéder à des postes de commandement et nuisant ainsi à l'efficacité globale de l'armée.
- Comment l'abolition de l'achat des commissions a-t-elle été finalisée ?
- Après le rejet initial de la clause de compensation par la Chambre des Lords, le Premier ministre Gladstone a utilisé un Décret Royal (Royal Warrant) le 20 juillet 1871 pour abolir unilatéralement le système, contournant ainsi l'opposition parlementaire et forçant les Lords à accepter ultérieurement une loi de compensation pour les officiers affectés.
- Qu'est-ce que le système de service court et quel était son but ?
- Le système de service court établissait des périodes de service actif plus courtes (généralement six ans) suivies d'une période équivalente dans la réserve. Son but était de créer une force de réserve bien entraînée, de rajeunir l'armée active et de disposer de soldats mobilisables rapidement pour la défense du territoire national et les besoins impériaux.
- Quel a été l'impact général des réformes Cardwell ?
- Elles ont modernisé l'armée britannique en la rendant plus professionnelle, plus efficace et basée sur le mérite. Elles ont également créé des forces de réserve vitales et centralisé l'administration militaire, préparant l'armée aux défis du XXe siècle et des conflits à venir.