Censure aux États-Unis : le Congrès américain promulgue la loi Comstock, rendant illégal l'envoi de livres "obscènes, obscènes ou lascifs" par la poste.

Aux États-Unis, la question de la censure, qui se définit comme la suppression de la parole ou de la communication publique, est intrinsèquement liée au Premier Amendement de la Constitution américaine. Ce pilier fondamental de la démocratie garantit la liberté d'expression, mais son interprétation a considérablement évolué au fil du temps, reflétant les dynamiques sociales et politiques du pays. L'équilibre délicat entre la protection de la parole et la nécessité de certaines restrictions a toujours été un sujet de débat intense et de décisions judiciaires complexes.

Historiquement, l'étendue de cette liberté fondamentale a fluctué. Par exemple, durant les années 1950, marquées par un sentiment anticommuniste généralisé, les restrictions sur la parole se sont accrues. Les auditions du House Committee on Un-American Activities (Comité de la Chambre sur les activités anti-américaines) en sont une illustration frappante, où l'expression de certaines opinions politiques était perçue comme une menace et souvent réprimée.

La Portée du Premier Amendement et ses Limites

Le Premier Amendement est la pierre ang'ulaire de la liberté d'expression aux États-Unis. Il protège les individus contre la censure imposée par le gouvernement. Cependant, cette protection n'est pas absolue et certaines catégories de discours ne sont pas couvertes par ses garanties.

Discours Non Protégés et Jurisprudence Clé

La Cour suprême des États-Unis a, au fil de ses décisions, délimité les frontières de la liberté d'expression. Un exemple notable est l'affaire Miller v. Californie (1973), où la Cour a statué que la liberté d'expression du Premier Amendement ne s'appliquait pas à l'obscénité. Cela signifie que le contenu jugé obscène peut légalement faire l'objet de censure.

Le "discours de haine" (hate speech) présente une complexité particulière. Aux États-Unis, certaines formes de discours de haine sont considérées comme légales tant qu'elles ne se transforment pas en actions violentes ou n'incitent pas directement d'autres personnes à commettre des actes illégaux. Cependant, des formes plus graves ou menaçantes ont conduit à des refus de permis pour des rassemblements (comme ceux du Ku Klux Klan) ou à des poursuites judiciaires, à l'instar de celles intentées contre la Westboro Baptist Church. Il est important de noter que la décision défavorable initiale contre cette dernière a finalement été annulée en appel par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Snyder v. Phelps (2011), affirmant que le discours concernant des questions d'intérêt public, même offensant, est largement protégé.

La Distinction entre Censure Gouvernementale et Censure d'Entreprise

Un aspect crucial, souvent mal compris, est la distinction entre la censure gouvernementale et la censure d'entreprise. Le Premier Amendement protège spécifiquement contre les restrictions imposées par les lois étatiques ou fédérales. Il ne protège pas, en revanche, contre la censure exercée par des entités privées, telles que les entreprises.

Dans le monde des affaires, la restriction de la parole peut prendre plusieurs formes: la menace de perte monétaire, la perte d'emploi pour les porte-parole, les employés ou les associés commerciaux, ou encore la perte d'accès au marché. Par ailleurs, les frais juridiques liés à des accusations de diffamation peuvent constituer une contrainte cachée significative, dissuadant de nombreuses personnes de s'exprimer librement par crainte de poursuites coûteuses.

De nombreux Américains sont favorables à la restriction de la censure par les entreprises, craignant un "effet de pente glissante" où l'inaction des entreprises face à la liberté d'expression pourrait, à terme, influencer le gouvernement lui-même. La perception de la liberté de la presse aux États-Unis est également un indicateur. En 2021, les analystes de Reporters sans frontières ont classé les États-Unis au 44e rang sur 180 pays dans leur Index mondial de la liberté de la presse, soulignant les défis persistants en la matière. En outre, certaines formes de discours, comme l'obscénité et la diffamation, sont réglementées dans les médias de communication, soit par le gouvernement, soit par l'industrie elle-même à travers des codes de conduite et des standards internes.

Les Lois Comstock: Un Chapitre Historique de la Censure aux États-Unis

Pour comprendre l'évolution de la censure aux États-Unis, il est essentiel de se pencher sur les lois Comstock, un ensemble de lois fédérales et d'États connexes adoptées à la fin du XIXe siècle, qui représentent une période significative de restriction morale et sociale.

Origine et Portée des Lois Comstock

Ces lois furent promulguées sous l'administration du président Ulysses S. Grant. La loi "parentale" fédérale, la Section 211, fut adoptée le 3 mars 1873 sous le nom officiel de "Loi pour la répression du commerce et de la circulation de la littérature obscène et des articles à usage immoral". Elle a criminalisé l'utilisation du service postal américain pour l'envoi de toute une série d'articles et d'informations: l'obscénité, les contraceptifs, les abortifs, les jouets sexuels, les lettres personnelles contenant des informations ou des contenus sexuels, ou toute information relative à ces éléments.

En 1909, une loi fédérale similaire, la Section 245, a étendu ces interdictions à la livraison par "express" interétatique ou tout autre transporteur public, comme le chemin de fer, complétant ainsi les restrictions postales. En plus de ces mesures fédérales, environ la moitié des États américains ont promulgué leurs propres législations inspirées des lois Comstock, que la militante des droits des femmes Mary Dennett a également désignées comme des "lois de Comstock".

Ces lois tirent leur nom de leur principal promoteur, Anthony Comstock, un inspecteur des postes américain et un fervent militant anti-vice. Comstock, doté d'une commission du ministre des Postes pour servir d'agent spécial, a mené une véritable croisade morale. À Washington, D.C., où le gouvernement fédéral exerçait une compétence directe, une autre loi Comstock, la Section 312, a rendu illégal (passible de peines allant jusqu'à cinq ans de travaux forcés) de vendre, prêter ou donner toute publication "obscène", ou tout article utilisé pour la contraception ou l'avortement. Plus tard, l'article 305 de la loi tarifaire de 1922 est venu renforcer ces restrictions en interdisant l'importation de toute information ou moyen contraceptif.

Contestation et Abrogation Progressive

Malgré les nombreuses tentatives infructueuses de les abroger ou de les modifier, l'esprit de ces lois a finalement été remis en question. Au fil du temps, nombre d'entre elles, ou des parties de celles-ci, ont été déclarées inconstitutionnelles. Dès 1919, dans un numéro du Journal of Criminal Law & Criminology, le juge J.C. Ruppenthal avait qualifié l'ensemble de ces actes de "aléatoires et capricieux" et dépourvus de "tout principe ou but clair, large et bien défini", soulignant leur manque de cohérence juridique.

Les restrictions sur le contrôle des naissances, en particulier, ont été effectivement annulées par des décisions emblématiques de la Cour suprême. Les affaires Griswold v. Connecticut (1965) et Eisenstadt v. Baird (1972) ont joué un rôle déterminant, établissant le droit à la vie privée et l'accès à la contraception, et marquant la fin de l'ère Comstock en matière de régulation de la moralité sexuelle et reproductive.

Questions Fréquemment Posées (FAQs)

Que protège le Premier Amendement en matière de censure aux États-Unis ?
Le Premier Amendement protège les citoyens américains contre la censure imposée par le gouvernement. Il garantit la liberté d'expression, de la presse, de religion, d'assemblée et de pétition, empêchant les lois fédérales ou étatiques de restreindre ces droits fondamentaux.
Quels types de discours ne sont pas protégés par le Premier Amendement ?
Bien que très large, la protection du Premier Amendement n'est pas absolue. Les catégories de discours généralement non protégées incluent l'obscénité (comme établi dans Miller v. Californie), la diffamation, l'incitation à la violence imminente, les menaces réelles, la fraude et certaines formes de discours commercial mensonger ou illégal.
Qu'est-ce que la censure d'entreprise et en quoi diffère-t-elle de la censure gouvernementale ?
La censure d'entreprise fait référence à la restriction de la parole ou de la communication par des entités privées, telles que des entreprises ou des plateformes numériques. Elle diffère de la censure gouvernementale en ce que le Premier Amendement ne s'applique pas directement aux acteurs privés. Les entreprises peuvent restreindre le contenu sur leurs plateformes ou limiter la parole de leurs employés et associés par des menaces de perte financière, de perte d'emploi ou de perte d'accès au marché, sans violer directement la Constitution.
Qu'étaient les lois Comstock et pourquoi étaient-elles importantes historiquement ?
Les lois Comstock étaient un ensemble de lois fédérales et d'États promulguées à partir de 1873, principalement à l'initiative d'Anthony Comstock. Elles criminalisaient l'envoi par la poste ou par d'autres moyens de transport de matériel jugé "obscène", y compris la littérature sexuellement explicite, mais aussi les informations sur la contraception et l'avortement. Elles sont importantes car elles représentent l'une des périodes les plus restrictives de l'histoire américaine en matière de liberté d'expression et de droits reproductifs, illustrant l'influence des mouvements moralistes sur la législation.
Les lois Comstock sont-elles toujours en vigueur aujourd'hui ?
Bien que certaines parties des lois Comstock n'aient jamais été officiellement abrogées, elles sont en grande partie devenues caduques ou ont été déclarées inconstitutionnelles au fil du temps. Les restrictions clés sur le contrôle des naissances ont été invalidées par des décisions de la Cour suprême comme Griswold v. Connecticut (1965) et Eisenstadt v. Baird (1972), marquant la fin de leur application effective dans ce domaine. L'esprit général de censure morale qu'elles incarnaient est largement incompatible avec l'interprétation moderne du Premier Amendement.