L'empereur Hailé Sélassié d'Ethiopie, "Messie" du mouvement Rastafari, est déposé à la suite d'un coup d'Etat militaire par le Derg, mettant fin à un règne de 58 ans.

Le nom de Haile Selassie Ier (en guèze : ቀዳማዊ ኀይለ ሥላሴ, romanisé : Qädamawi Häylä Səllasé, prononciation amharique : [ˈhaɪlə sɨlˈlase]), né Tafari Makonnen le 23 juillet 1892, résonne comme celui d'une figure emblématique de l'histoire éthiopienne et africaine. Dernier empereur régnant d'Éthiopie, il a marqué le 20e siècle par ses efforts de modernisation, son rôle sur la scène internationale et son statut spirituel unique au sein du mouvement Rastafari, un culte religieux originaire de Jamaïque. Son règne s'est étendu de 1930 à 1974, s'achevant par un coup d'État qui mit fin à une dynastie millénaire.

L'Ascension au Trône du « Roi des Rois »

Né Lij Tafari Makonnen Woldemikael, il était le petit-neveu de l'empereur Ménélik II. Son ascension politique débuta réellement en 1916 lorsqu'il fut nommé régent plénipotentiaire d'Éthiopie et héritier du trône, sous le règne de l'impératrice Zewditu. Cette période fut cruciale pour son apprentissage des arcanes du pouvoir et pour la consolidation de son influence. En 1928, il fut couronné Negus (roi), puis, le 2 novembre 1930, il accéda à la pleine dignité impériale sous le nom de Haile Selassie Ier, signifiant « Puissance de la Trinité ». Il s'inscrivait ainsi dans la lignée de la prestigieuse dynastie salomonienne, qui, selon la tradition éthiopienne, remonte à l'empereur Ménélik Ier, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, Makeda.

Un Visionnaire de la Modernisation et de la Réforme

Dès le début de son règne, Haile Selassie Ier s'est engagé dans un ambitieux programme de modernisation pour son pays, cherchant à arracher l'Éthiopie à son isolement féodal. Parmi ses réformes les plus notables, on compte l'introduction de la première constitution écrite du pays en 1931, un document fondamental qui jetait les bases d'une gouvernance plus structurée. Il s'est également distingué par l'abolition de l'esclavage, une pratique profondément enracinée, démontrant ainsi sa volonté de s'aligner sur les normes internationales de l'époque. Ces réformes, bien qu'ambitieuses, rencontrèrent des résistances et furent souvent critiquées pour leur lenteur ou leur portée jugée insuffisante par certains.

Les Épreuves de la Seconde Guerre Italo-Éthiopienne et l'Exil

Le destin de Haile Selassie et de l'Éthiopie prit un tournant dramatique avec l'invasion italienne en 1935. Face à l'agression des forces fascistes de Benito Mussolini, l'Empereur dirigea les efforts de défense, mais l'armement supérieur et l'usage de gaz moutarde par l'Italie eurent raison de la résistance éthiopienne. En 1936, contraint à l'exil, Haile Selassie prononça un discours poignant devant la Société des Nations à Genève, avertissant le monde des dangers de l'agression non réprimée, un appel prophétique avant la Seconde Guerre mondiale. Il passa la majeure partie de l'occupation italienne en Angleterre. Sa détermination à libérer son pays ne faiblit pas ; en 1940, il se rendit au Soudan pour coordonner la lutte antifasciste, avant de revenir triomphalement sur sa terre natale en 1941, à la suite de la campagne d'Afrique de l'Est et avec le soutien des Alliés.

Un Architecte de l'Unité Africaine et de la Coopération Internationale

Après la guerre, Haile Selassie Ier joua un rôle majeur sur la scène internationale. Ses vues internationalistes firent de l'Éthiopie un membre fondateur des Nations Unies, témoignant de son engagement en faveur de la paix et de la coopération mondiale. En 1963, il présida à la formation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à Addis-Abeba, précurseur de l'actuelle Union africaine, et en fut le premier président. Ce fut un moment historique pour le continent, symbolisant l'aspiration à la solidarité et à l'indépendance des nations africaines. Concernant l'Érythrée, après la création de la Fédération d'Éthiopie et d'Érythrée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1950, Haile Selassie finit par la dissoudre et annexer l'Érythrée comme une de ses provinces, une décision qui allait ultérieurement semer les graines d'un long conflit pour la sécession.

La Chute et l'Héritage Complexe

Malgré ses efforts pour moderniser le pays et son prestige international, Haile Selassie Ier fut confronté à des défis internes croissants. Son régime, critiqué pour son caractère autocratique et illibéral par des groupes de défense des droits humains tels que Human Rights Watch, peinait à répondre aux aspirations d'une population grandissante et aux problèmes économiques. Des critiques soulignaient notamment la lenteur de la modernisation et la persécution de certaines communautés, comme le peuple Harari, dont beaucoup furent contraints de quitter leur région. Si certaines sources affirment que la langue oromo fut interdite d'éducation et d'administration sous son régime, il n'existe pas de loi officielle criminalisant spécifiquement cette langue. Le gouvernement de Haile Selassie déplaça de nombreux Amharas vers le sud de l'Éthiopie, où ils occupèrent des postes clés dans l'administration, la justice et l'Église, un mouvement qui fut parfois perçu comme une forme d'hégémonie culturelle. En 1974, la famine, les troubles sociaux et la crise politique conduisirent à son renversement par un coup d'État militaire mené par une junte marxiste-léniniste connue sous le nom de Derg. Haile Selassie Ier fut assassiné le 27 août 1975, marquant la fin d'une ère. Son image reste complexe et sujette à débat, comme en témoignent les destructions de sa statue à Cannizaro Park, à Londres, par des manifestants oromos en juin 2020, et le retrait du monument équestre de son père à Harar, suite à la mort de Hachalu Hundessa.

Haile Selassie et le Mouvement Rastafari

Au-delà de son rôle politique, Haile Selassie Ier occupe une place unique et centrale dans le mouvement Rastafari. Bien qu'il fût lui-même un fervent chrétien orthodoxe éthiopien, adhérant strictement aux principes et à la liturgie de cette Église ancestrale, il est vénéré par de nombreux Rastafari comme le Messie revenu de la Bible, voire comme Dieu incarné (Jah). Cette croyance découle d'une interprétation spécifique de prophéties bibliques et de l'identité de l'Empereur comme descendant de Salomon, reliant l'Éthiopie à des récits sacrés. Pour les Rastas, son couronnement en 1930 fut l'accomplissement d'une prophétie annonçant le retour du Christ sous les traits d'un monarque africain.

Comprendre le Rastafari : Un Chemin Spirituel et Social

Le Rastafari, parfois appelé rastafarisme, est une religion et un mouvement social qui a émergé dans les communautés afro-jamaïcaines pauvres et marginalisées dans les années 1930. Il est souvent classé par les spécialistes des religions comme un nouveau mouvement religieux. Caractérisé par une absence d'autorité centrale, il englobe une grande diversité de pratiques et de croyances parmi ses adeptes, connus sous les noms de Rastafari, Rastafarians ou Rastas. Son idéologie afrocentrique est née en grande partie en réaction à la culture coloniale britannique dominante en Jamaïque à l'époque, puisant son inspiration dans l'éthiopisme et le mouvement "Back-to-Africa" promu par des figures nationalistes noires telles que Marcus Garvey. Ce mouvement a pris son envol après que plusieurs membres du clergé chrétien protestant, notamment Leonard Howell, aient proclamé que le couronnement de Haile Selassie en tant qu'empereur d'Éthiopie en 1930 accomplissait une prophétie biblique.

Les Piliers de la Foi Rastafari

Les croyances rastafari sont fondées sur une interprétation spécifique de la Bible, avec au centre une foi monothéiste en un Dieu unique, appelé Jah. Il est souvent considéré comme résidant partiellement en chaque individu. La figure de Haile Selassie Ier est d'une importance capitale : si beaucoup le voient comme la seconde venue de Jésus et Jah incarné, d'autres le considèrent comme un prophète humain ayant pleinement reconnu la présence de Jah en chacun. Le Rastafari est profondément afrocentrique, focalisant son attention sur la diaspora africaine, qu'il perçoit comme opprimée au sein de la société occidentale, surnommée "Babylone". Un appel central pour de nombreux Rastas est la réinstallation de cette diaspora en Afrique, un continent qu'ils considèrent comme la Terre Promise, ou « Sion ». Certains pratiquants étendent ces vues à des formes de suprématisme noir.

Le "Livity" : Mode de Vie et Pratiques Rastafari

Les Rastas désignent leurs pratiques par le terme de "livity" (vivacité), un mode de vie qui met l'accent sur ce qu'ils considèrent comme une existence "naturelle". Cela inclut l'adhésion au régime alimentaire ital, végétarien et sans additifs, ainsi que le port des cheveux en dreadlocks, symboles d'une rupture avec les normes occidentales et d'un lien spirituel avec la nature. Les réunions communautaires, appelées "groundations", sont des moments de partage caractérisés par la musique, les chants, les discussions et la consommation de cannabis. Ce dernier est perçu comme un sacrement aux propriétés méditatives et bénéfiques, favorisant la connexion spirituelle. Le mouvement adhère également à des rôles de genre souvent perçus comme patriarcaux.

Évolution, Visibilité et Diversité du Mouvement

Dans les années 1950, la position contre-culturelle du Rastafari entraîna des conflits avec la société jamaïcaine, y compris des affrontements violents avec les forces de l'ordre. Cependant, dans les années 1960 et 1970, le mouvement gagna en respectabilité en Jamaïque et acquit une visibilité internationale considérable, notamment grâce à la popularité des musiciens de reggae d'inspiration rastafari, le plus célèbre étant Bob Marley. Malgré une diminution de l'enthousiasme dans les années 1980, suite aux décès de Haile Selassie et de Marley, le mouvement a survécu et s'est étendu à de nombreuses régions du monde. Le mouvement Rastafari est décentralisé et organisé sur une base largement sectaire, avec plusieurs dénominations ou "Demeures de Rastafari". Les plus importantes sont les Nyahbinghi, les Bobo Ashanti et les Douze Tribus d'Israël, chacune offrant une interprétation distincte de la foi rastafari. En 2012, les adeptes étaient estimés entre 700 000 et un million dans le monde. La plus grande concentration se trouve en Jamaïque, mais des communautés sont présentes dans la plupart des grands centres de population mondiaux. La majorité des Rastafari sont d'origine noire africaine, et certains groupes n'acceptent que des membres noirs.

Questions Fréquemment Posées (FAQ)

Qui était Haile Selassie Ier ?
Haile Selassie Ier (né Tafari Makonnen) fut le dernier empereur d'Éthiopie, régnant de 1930 à 1974. Il est une figure majeure de l'histoire éthiopienne moderne, connu pour ses tentatives de modernisation du pays et son rôle dans la fondation de l'Organisation de l'unité africaine.
Pourquoi Haile Selassie est-il important pour le mouvement Rastafari ?
Bien que Haile Selassie fût chrétien orthodoxe éthiopien, il est vénéré par de nombreux Rastafari comme le Messie revenu, Dieu incarné (Jah), ou un prophète crucial. Son couronnement en 1930 a été interprété comme l'accomplissement de prophéties bibliques par les fondateurs du mouvement.
Qu'est-ce que le mouvement Rastafari ?
Le Rastafari est une religion et un mouvement social afrocentrique originaire de la Jamaïque dans les années 1930. Il combine des éléments du protestantisme, de l'éthiopisme et du nationalisme noir, avec une vénération de Haile Selassie Ier et une focalisation sur la diaspora africaine.
Quelles sont les croyances fondamentales des Rastafari ?
Les croyances fondamentales incluent le monothéisme (Jah), la divinité de Haile Selassie Ier (pour certains), la reconnaissance de l'Afrique (Sion) comme terre promise, et la perception de la société occidentale comme "Babylone" oppressive. Le mouvement prône également un mode de vie "naturel" (livity) et des pratiques communautaires spécifiques.
Quelles étaient les principales réalisations de Haile Selassie Ier ?
Ses réalisations incluent l'introduction de la première constitution écrite de l'Éthiopie en 1931, l'abolition de l'esclavage, son rôle de leader durant la Seconde Guerre Italo-Éthiopienne (malgré la défaite initiale), la co-fondation des Nations Unies, et la présidence de la formation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA).
Comment le règne de Haile Selassie a-t-il pris fin ?
Son règne a pris fin en 1974 lorsqu'il a été renversé par un coup d'État militaire mené par le Derg, une junte marxiste-léniniste. Il a été assassiné le 27 août 1975.