
Richard Nixon, 37e président des États-Unis, a effectué en février 1972 une visite historique en République populaire de Chine. Ce voyage a ouvert la voie à la normalisation des relations sino-américaines après plus de deux décennies d’hostilité. Il s’agit de l’un des tournants diplomatiques majeurs du XXe siècle, qui a remodelé la guerre froide et préparé l’interdépendance économique du XXIe siècle.
Pourquoi la visite de Nixon en Chine était-elle historique ?
La visite de Richard Nixon à Pékin a brisé 23 ans d’absence de relations officielles entre Washington et la Chine communiste. En reconnaissant l’importance de la Chine sur la scène mondiale, Nixon et son conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, ont initié un rapprochement audacieux qui visait autant à détendre les tensions avec Pékin qu’à rééquilibrer le rapport de force avec Moscou. Ce « triangle » stratégique (États-Unis–URSS–Chine) a contribué à l’émergence de la détente et à la conclusion d’accords majeurs de limitation des armements avec les Soviétiques en 1972.
- Rupture avec la politique d’endiguement rigide et reconnaissance du poids de la Chine.
- Exploitation du fossé sino-soviétique pour améliorer la position américaine.
- Création de canaux diplomatiques permanents, prélude à la normalisation de 1979.
Contexte : des relations sino-américaines complexes (1844–1971)
Les relations entre la Chine et les États-Unis remontent au traité de Wanghia (1844) qui a encadré les échanges commerciaux. Au tournant du XXe siècle, Washington défend l’Open Door Policy contre la logique des sphères d’influence et participe à la répression de la révolte des Boxers. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont alliés à la République de Chine contre le Japon. Après 1945, Washington échoue à réconcilier nationalistes et communistes. La prise de pouvoir de Mao Zedong en 1949 ferme la porte à des relations stables : la guerre de Corée (1950–1953) oppose directement les deux pays et ancre une hostilité durable.
Les États-Unis reconnaissent le gouvernement de Taïwan comme représentant de la Chine et soutiennent son siège aux Nations unies jusqu’en 1971. À la fin des années 1960, la guerre du Vietnam épuise Washington, tandis que la Chine, en froid avec l’URSS, redoute un encerclement soviétique. La conjoncture est mûre pour un rapprochement tactique.
Les coulisses de l’ouverture : diplomatie du ping-pong et canal Kissinger
Le dégel commence par la fameuse diplomatie du ping-pong en 1971, lorsque l’équipe américaine de tennis de table est invitée en Chine. Dans la foulée, Henry Kissinger effectue un voyage secret en juillet 1971 via le Pakistan pour rencontrer Zhou Enlai et préparer une visite présidentielle. En octobre 1971, la Résolution 2758 de l’Assemblée générale des Nations unies transfère le siège de la Chine de Taïwan à Pékin, consacrant la montée en puissance diplomatique de la République populaire de Chine.
La visite de 1972 : déroulé et images fortes
Du 21 au 28 février 1972, Richard Nixon foule le sol chinois. Il rencontre Mao Zedong et tient de longues sessions de travail avec Zhou Enlai. Visites d’État, toasts officiels, entretiens au Grand Palais du Peuple et déplacements à Hangzhou et Shanghai marquent une visite sans précédent, suivie par des millions de téléspectateurs aux États-Unis. L’image de Nixon serrant la main de Zhou Enlai symbolise la fin d’un tabou diplomatique et la naissance d’une relation nouvelle, prudente mais prometteuse.
Le Communiqué de Shanghai : que dit-il ?
Publié le 28 février 1972, le Communiqué de Shanghai établit un cadre de coopération malgré des divergences profondes :
- Une seule Chine : les États-Unis « reconnaissent » que tous les Chinois des deux rives du détroit estiment qu’il n’existe qu’une seule Chine et que Taïwan fait partie de la Chine, et déclarent leur intérêt pour une résolution pacifique de la question de Taïwan.
- Non-hégémonie en Asie-Pacifique : Washington et Pékin rejettent toute domination d’une puissance dans la région.
- Échanges : promotion des contacts culturels, scientifiques et journalistiques, et création de canaux officiels.
Ce communiqué ne constitue pas une reconnaissance diplomatique pleine et entière, mais il ouvre la voie à l’établissement de bureaux de liaison en 1973, puis à la normalisation des relations en 1979 sous Jimmy Carter. Parallèlement, le Taiwan Relations Act est adopté par le Congrès américain en 1979 pour encadrer des relations non officielles et maintenir les capacités de défense de l’île.
Conséquences immédiates : détente et rapport de force global
La percée de Nixon en Chine a des effets géopolitiques rapides :
- Pression sur Moscou : la rivalité sino-soviétique pousse l’URSS à négocier des accords de limitation des armements. En mai 1972, Nixon signe les accords SALT I et le Traité ABM à Moscou.
- Vietnam : Pékin encourage des discussions qui mèneront aux Accords de Paris (1973) et à la fin du rôle de combat américain. Cependant, l’escalade aérienne de 1972 montre la complexité du dossier.
- Canaux stables : la coopération pragmatique débouche sur des échanges scientifiques, des visites et une coordination minimale sur les crises régionales.
De la détente à l’ère économique (1980–2008)
Après la normalisation de 1979, la relation sino-américaine passe progressivement du stratégique à l’économique :
- Années 1980 : montée des échanges commerciaux, transferts limités de technologies, coopération éducative.
- 1989 : les événements de Tian’anmen provoquent des sanctions occidentales, sans rompre durablement les liens.
- 2001 : l’entrée de la Chine à l’OMC accélère l’intégration aux chaînes de valeur mondiales.
À partir des années 2000, la Chine devient l’atelier du monde, tandis que les entreprises américaines s’intègrent profondément au marché chinois. Les flux commerciaux explosent et la Chine accumule d’importantes réserves de devises, devenant l’un des principaux détenteurs de bons du Trésor américain (aujourd’hui le deuxième après le Japon). Vers 2021, les États-Unis restent la première économie mondiale en PIB nominal, et la Chine la seconde, tout en étant première en PIB en PPA. L’interdépendance est intense mais asymétrique et concurrentielle.
Rivalité et interdépendance au XXIe siècle
La stratégie américaine de « pivot vers l’Asie » sous Barack Obama met l’accent sur la présence américaine dans l’Indo-Pacifique et sur la liberté de navigation en mer de Chine méridionale. Les tensions s’accroissent autour des îles artificielles et des opérations de liberté de navigation (FONOPs). La perception publique se durcit : en 2016, malgré la rivalité, 51 % des Chinois gardent une image favorable des États-Unis ; mais en 2020, seulement 22 % des Américains déclarent une opinion favorable de la Chine, contre 73 % défavorable, tandis qu’une majorité croissante de Chinois exprime aussi une vision négative des États-Unis.
Sous Donald Trump, la relation se détériore nettement : la Chine est qualifiée de « compétiteur stratégique » (2017), une guerre commerciale est lancée, des restrictions visent Huawei et des entités associées aux violations des droits humains, et des limites supplémentaires sont imposées aux visas. Des voix évoquent l’émergence d’une « nouvelle guerre froide ». L’administration Biden maintient un cap plus coordonné avec les alliés, met l’accent sur Hong Kong, Taïwan, le Xinjiang et la cybersécurité, tout en recherchant des garde-fous et un minimum de coopération sur le climat, la non-prolifération et la stabilité macroéconomique.
Portrait de Richard Nixon : un héritage paradoxal
Né en 1913 en Californie dans une famille quaker modeste, Richard Milhous Nixon devient avocat, sert dans la Marine pendant la Seconde Guerre mondiale, puis entre à la Chambre des représentants en 1946. Son rôle dans l’affaire Alger Hiss forge sa réputation anticommuniste. Sénateur en 1950, il devient vice-président de Dwight D. Eisenhower (1953–1961). Battu par John F. Kennedy en 1960 et par le gouverneur de Californie en 1962, il revient en force pour remporter la présidentielle de 1968.
À la Maison-Blanche, Nixon met fin au rôle de combat américain au Vietnam (1973) et suspend la conscription. Il pilote la détente avec Moscou et ouvre la Chine. Sur le plan intérieur, il crée l’Environmental Protection Agency (EPA), supervise la dérognation scolaire accélérée dans le Sud, impose des contrôles temporaires des salaires et des prix, lance la « guerre contre le cancer », et durcit la politique antidrogue. Il assiste à l’alunissage d’Apollo 11 et remporte une réélection écrasante en 1972. Mais le scandale du Watergate entraîne sa démission en 1974, unique dans l’histoire présidentielle américaine. Gracié par Gerald Ford, Nixon redevient un « sage » de la politique étrangère dans sa retraite, avant de décéder en 1994. Son rang dans les classements historiques demeure controversé : succès diplomatiques majeurs, fin entachée par l’abus de pouvoir.
Pourquoi son pari sur la Chine reste central aujourd’hui
Le voyage de Nixon en Chine a prouvé la puissance d’une realpolitik lucide : parler avec un adversaire peut réduire les risques systémiques, créer des options, et façonner l’ordre international. La relation sino-américaine actuelle cumule interdépendance économique et rivalité stratégique en Asie-Pacifique : commerce massif, investissements, chaînes d’approvisionnement, mais aussi désaccords sur les droits humains, la technologie, la cybersécurité et la liberté de navigation. Dans ce cadre, l’héritage de Nixon rappelle l’importance de garde-fous diplomatiques, de canaux de crise, et d’une compétitivité assumée mais gérée pour éviter l’escalade.
Chronologie éclair
- 1844 : Traité de Wanghia (Wangxia) entre les États-Unis et la Chine.
- 1900 : Révolte des Boxers ; les États-Unis participent à l’intervention internationale.
- 1938–1945 : Alliance américano-chinoise contre le Japon.
- 1949 : Fondation de la République populaire de Chine ; rupture avec Washington.
- 1950–1953 : Guerre de Corée ; confrontation indirecte entre les deux pays.
- 1971 : Diplomatie du ping-pong ; Résolution 2758 de l’ONU sur la représentation de la Chine.
- Février 1972 : Visite de Richard Nixon en Chine ; Communiqué de Shanghai.
- 1973 : Ouverture de bureaux de liaison à Pékin et Washington.
- 1979 : Normalisation des relations diplomatiques ; Taiwan Relations Act.
- 2001 : Adhésion de la Chine à l’OMC ; accélération des échanges mondiaux.
- 2010s–2020s : Rivalité technologique et géopolitique accrue ; tensions commerciales et stratégiques.
FAQ
Pourquoi Richard Nixon a-t-il décidé d’aller en Chine en 1972 ?
Pour briser l’isolement réciproque, exploiter la rupture sino-soviétique, renforcer la position américaine dans la guerre froide et ouvrir une voie de sortie au Vietnam. C’était un pari de realpolitik évaluant que Pékin était trop important pour rester en dehors de l’équation mondiale.
Qu’est-ce que le Communiqué de Shanghai ?
Un document conjoint signé en février 1972 qui fixe un cadre de coopération malgré des divergences. Les États-Unis y reconnaissent que tous les Chinois considèrent qu’il n’existe qu’une seule Chine et que Taïwan en fait partie, et expriment le souhait d’un règlement pacifique. Il rejette l’hégémonie en Asie et encourage les échanges.
La visite de Nixon a-t-elle mis fin à la guerre du Vietnam ?
Indirectement, elle a contribué à créer des conditions favorables aux pourparlers. Les Accords de Paris de 1973 mettent fin au rôle de combat américain, mais la guerre du Vietnam se termine en 1975 avec la chute de Saïgon. L’impact de la visite fut réel mais non décisif à lui seul.
Quel a été l’effet de cette ouverture sur Taïwan ?
La reconnaissance d’une seule Chine a relégué Taïwan à des relations non officielles avec les États-Unis après 1979, encadrées par le Taiwan Relations Act. Washington continue de soutenir les capacités de défense de l’île, tout en évitant de reconnaître l’indépendance formelle de Taïwan.
Pourquoi parle-t-on d’interdépendance et de rivalité aujourd’hui ?
Parce que la Chine et les États-Unis sont profondément liés par le commerce, les investissements et les chaînes d’approvisionnement, tout en s’affrontant sur la technologie, la sécurité, les droits humains et l’ordre régional en Indo-Pacifique. C’est une relation « concurrentielle-coopérative » difficile à gérer.
La relation sino-américaine est-elle une nouvelle guerre froide ?
Certains observateurs le pensent en raison de la compétition systémique et des sanctions réciproques. Cependant, l’interdépendance économique, les défis transnationaux (climat, santé, finance) et des canaux diplomatiques actifs la distinguent de la guerre froide historique.
Quel est l’héritage global de Richard Nixon ?
Un héritage contrasté : des succès majeurs en politique étrangère (ouverture à la Chine, détente, accords sur les armes) et des réalisations intérieures notables (EPA, lutte contre le cancer), ternis par le Watergate et sa démission. Sa visite en Chine demeure l’un des actes diplomatiques les plus influents du XXe siècle.

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